Minh Tran Huy
Flammarion, 230 pages, 18€
Pourquoi voyageons-nous ? Pourquoi quittons-nous notre terre natale, nos racines ? Qu'est-ce qui pousse les hommes à partir vers l'inconnu ? Telles sont les questions qui agitent Line, la narratrice, lors d'un voyage à New York. Elle a l'habitude de prendre l'avion, de changer de continent au gré de ses déplacements professionnels ou pour ses vacances.
Mais d'autres n'ont pas ce luxe, ils partent pour fuir, pour survivre. Comme Albert Dadas, qu'elle a découvert au détour d'une exposition. Ce premier "touriste pathologique" diagnostiqué au XIXe siècle, ne pouvait s'empêcher de parcourir des kilomètres, poussé par un irrépressible besoin de partir. Ou comme Samia Yusuf Omar, jeune athlète somalienne ayant représenté son pays aux Jeux Olympiques avant de retomber dans l'oubli et de mourir parmi d'autres réfugiés tentant de fuir la guerre. Samia, poussée sur la route de l'exil par l'espoir fou de vivre sa passion. Ou comme son père, son oncle Thinh ou sa cousine Hoai qui ont quitté le Vietnam pour poursuivre leurs études loin de leurs familles et s'assurer un avenir meilleur. Cet exil, sa vie d'avant la France, son père n'en parlait presque jamais et pourtant Linh a besoin de connaître ce passé, de comprendre d'où elle vient.
Un roman magnifique sur le déracinement, la soif d'ailleurs et les difficultés de vivre entre deux lieux.
Frédéric Beigbeder
Grasset, 335 pages, 21.30€
Frédéric Beigbeder s'est penché sur la courte, mais intense, idylle entre JD Salinger et Oona O'Neill. Le premier a 21 ans. C'est un jeune écrivain prometteur qui a publié quelques nouvelles. Grand, un peu gauche, il n'a rien d'un séducteur et pourtant Oona tombe sous le charme. Elle a 15 ans, en cette année 1940, et est déjà une figure très en vue des fêtes newyorkaises. Fille du dramaturge Eugene O'Neill, elle fait la une des journaux en compagnie de ses copines dans les soirées mondaines.
Entre la belle ingénue et le futur auteur de l'Attrape-coeurs, c'est le coup de foudre. S'ensuivent quelques mois d'une relation passionnée bien que platonique. Puis l'Amérique entre en guerre. Salinger s'engage dans l'armée et découvre les horreurs de la guerre, Oona déménage à Hollywood et rêve de devenir une starlette. Leurs destins ont pris des chemins diamétralement opposés que plus rien réunira.
Vif et passionnant, ce roman où tout est vrai est une réussite.
Dès le mois d'octobre, la librairie accueillera chaque premier lundi du mois le cycle de conférences-débat organisé par l'Espace analytique de Belgique.
Une sélection de lectures préparée en collaboration avec l'eab vous sera également proposée tout au long de l'année.
Voici le programme 2014-2015 :
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Éloge de l'oisiveté, Bertrand Russell, Éditons Allia, 6€20
Dans ce petit essai, paru pour la première fois en 1932, Bertrand Russell s'en prend à la morale qui érige le travail comme valeur absolue de nos sociétés. Il l'accuse au contraire d'être « la cause de grands maux dans le monde moderne ».
Refusant que les notions de vacances et de temps libre ne se résument au repos des corps, il milite pour une journée de travail de quatre heures permettant de redécouvrir le « bon usage du loisir », actif et libéré de toute contrainte d'efficacité.
Près de cent ans plus tard, nous enrichissons notre vocabulaire de mots tels que « burn out » ou « workaholic », illustrant les dérives de cette « vertu » anthropophage. En effet, les troubles psychiques liés au travail n'ont cessé d'augmenter. Les arguments de Russell, toujours aussi vifs, résonnent désormais comme un avertissement...
L'épanouissement personnel, qui n'a pourtant jamais été autant recherché, semble de plus en plus difficile à concilier avec notre manière de vivre. Et si, comme nous l'affirme brillamment le philosophe, « la voie du bonheur et de la prospérité [devait] passer par la diminution méthodique du travail » ?
L'influence de l'odeur des croissants chauds sur la bonté humaine, Ruwen Ogien, Le livre de poche, 7€40
Véritable « Petit cours d'autodéfense intellectuelle contre le moralisme », comme le sous-titre lui-même l'auteur, cet essai se joue de notre bien-pensance et démonte avec imagination, humour et beaucoup de pédagogie les idées préconçues qui nous habitent en matière d'imaginaire bien/mal, juste/injuste, blanc/noir.
Passée l'introduction où Ogien nous dessine les contours de sa philosophie pratique, le livre s'organise en différentes « expériences de pensées », dont le but est de faire vaciller nos jugements moraux, en les confrontant aux règles élémentaires du raisonnement éthique, moral et déontologique.
Ainsi l'on se retrouve tour à tour : chauffeur de tramway devant choisir entre épargner la vie d'un homme sur la voie ou tuer l'ensemble de ses passagers, juge livrant un innocent à une foule déchaînée pour éviter un massacre ou encore pagayant sur un bateau en jetant des chimpanzés à la mer afin de sauver quelques adultes comateux...
S'il est parfois déconcertant de voir notre intuition première aussi rudement mise à mal, la satisfaction d'avoir compris la nécessité de prendre du recul par rapport à nos réactions spontanées est, elle, immédiate.
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