L'été est là et avec lui notre traditionnelle sélection de "Poches de l'été",
des titres coups de coeur pour tous les gouts à emporter partout!
Cette année, nous y ajoutons la sélection des libraires Initiales (ceux qui vous offrent le beau magazine éponyme ), groupement de libraires indépendants et motivés, dont nous faisons désormais partie (pour plus d'informations, cliquez ici). "Sous les pavés la plage" est une série de titres aussi longs que passionnants, des nouveautés ou des romans cultes qui vous accompagneront longtemps sur la route!
Ci-dessous la liste...
Lire la suite : Les poches de l'été et la plage sous les pavés
Silvia Tennenbaum, trad. de l'anglais,
Gallimard, 623 p., 24.50 €
Les Wertheim, famille juive de la bonne bourgeoise de Francfort, se sentent pleinement appartenir à la nation allemande : ils participent à la vie économique, culturelle, sont ouverts aux nouveaux courants artistiques, philosophiques, fêtent Noël et s'engageront lors de la Grande Guerre. Le patriarche dirige une florissante entreprise de textile, et son plus jeune fils s'apprête à lui succéder. Bien que composé de personnalités très différentes, le clan reste très uni. L'oncle Eduard veille au bien-être des siens, avec une légère pointe d'autoritarisme. Mais bientôt, les tensions montent, les lois antijuives sont promulgées, certains membres de la famille s'exilent, d'autres restent. Arrive la guerre...
Une bouleversante saga familiale qui nous fait traverser tous les remous de la première moitié du XXe siècle, à la suite de merveilleux personnages.
Annie Ernaux, Mémoire de fille
Gallimard, 2016, 151 pages
C’est l’absence de sens de ce que l’on vit au moment où on le vit qui multiplie les possibilités d’écriture.
Dans Mémoire de fille, Annie Ernaux propulse son lecteur au coeur d'un été, celui de 1958. Pour celle qui s’appelle encore Annie Duchesne, c’est l’été de ses dix-huit ans, le premier été où elle échappe à l’emprise familiale, l’été de la libération. Cet été-là, Annie Duchesne arrive comme monitrice dans une colonie de vacances. De la vie et des garçons, elle ne connaît pas grand-chose. Elle est peu sortie de son village, Yvetot en Normandie, et du pensionnat catholique pour jeunes filles où elle séjourne pour suivre le lycée. Elle a de l’existence une connaissance livresque; elle a beaucoup de fantasmes, de désirs. Elle a tout à découvrir. L’été 58, c'est l'été où Annie Duchesne fait l’expérience de la sexualité -qu’Annie Ernaux nommera le « ravagement ».
L’idée que je pourrais mourir sans avoir écrit sur celle que très tôt j’ai nommée « la fille de 58 » me hante. Un jour, il n’y aura plus personne pour se souvenir. Ce qui a été vécu par cette fille, nulle autre, restera inexpliqué, vécu pour rien. Annie Duchesne n’a pas encore lu Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir et ce sont les « bribes de son discours intérieur » qu’Annie Ernaux cherche à retranscrire dans son texte. Elle est à la fois si loin et si proche de cette « fille de 58 ».
La grâce de l'écriture d'Annie Ernaux, l’usage du présent, le champ lexical dûment choisi, le va et vient constant entre passé et présent, font qu'elle nous implique en tant que lecteur bien au-delà de la simple position de témoin. On sent dans son écriture une urgence à dire ce que c’est d’être et de devenir… une femme, une écrivaine. Je n’ai pas cherché à m’écrire, à faire oeuvre de ma vie : je me suis servie d’elle (…) comme d’une matière à explorer pour saisir et mettre au jour quelque chose de l’ordre d’une vérité sensible.
Dans Mémoire de fille, Annie Ernaux réussit magistralement son projet. À lire de toute urgence!
Mathias Menegoz,
Folio Gallimard, 640 p., 9€20
Bien loin de toutes les modes littéraires, ce roman historique plein d'orgueil et de fureur nous entraîne dans une chevauchée fantastique et violente à la suite de son héros, le jeune et impérieux comte Korvanyi, aux confins de l'empire austro-hongrois, à travers les plaines brumeuses et les sombres forêts de Transylvanie. En 1833, après un duel pour défendre l'honneur de sa fiancée, la baronne Cara de Amprecht, Alexander Korvanyi quitte Vienne et sa carrière dans l'armée impériale pour s'installer avec sa jeune et fougueuse épouse dans son fief ancestral, délaissé par les seigneurs depuis un demi-siècle. Son immense domaine, appelé la Korvanya, s'étend dans une région reculée, arriérée, peuplée de communautés disparates, Magyars, Roumains, Valaques, Tziganes, qui ne parlent pas les mêmes langues et n'ont pas les mêmes droits. Déjà une véritable poudrière où fermentent les injustices et les haines tenaces! Le comte, tout impregné de l'idéal de sa lignée, entend bien restaurer la grandeur et la puissance familiales. Mais son autorité orgueilleuse mêlée à sa méconnaissance des peuplades et des superstitions de la région le pousse à des décisions brutales, mal comprises, cruelles, qui exacerbent les tensions et feront advenir l'horreur.
Cette grande fresque historique qui décrit magnifiquement cette terre, ses beautés et ses mystères, est aussi un grand roman psychologique : avec finesse et intelligence, Mathias Ménégoz explore les caractères des personnages, les rapports de force et les mécanismes des groupes. Il tisse aussi une toile redoutable, où l'on voit le basculement se rapprocher inexorablement.
Du dépaysement, un grand souffle romanesque, une description historique extraordinaire, des combats épiques, une superbe écriture classique, des personnages complexes et passionnants font de Karpathia un roman dense et envoûtant qui nous plonge dans un monde sombre, inquiétant, un monde de tensions, de revendications communautaires, d'injustice sociale, qui pourrait bien avoir quelques résonances avec le monde actuel...