Martin Solares, N’envoyez pas de fleurs, traduit de l’espagnol (Mexique) par Christilla Vasserot,
Christian Bourgois, 2017
« Il leur dit qu’il y avait une personne capable de retrouver la petite: un ex-policier. Il leur dit que si l’individu en question était toujours vivant, après le différend qu’il avait eu avec ses propres collègues, il serait la personne idéale, parce qu’il avait déjà survécu au moins deux fois à ce genre d’affaires, pour lesquelles un suicidaire est plus utile qu’un enquêteur. Il leur dit que si d’aventure il était toujours vivant, ce qui n’était pas improbable, ils pourraient peut-être le trouver dans des états voisins, Veracruz ou San Luis Potosi, car il était arrivé plus d’une fois qu’un de ses informateurs signale sa présence sur la route qui descend vers La Eternidad. D’après les informateurs en question, il conduit toujours une voiture blanche et se rend régulièrement dans un restaurant près du fleuve, en face des brise-lames. Il reste attablé là une ou deux heures, discute avec les propriétaires, fait ses petites affaires et retourne sur ses pas, pour aller où, personne ne le sait vraiment. D’autres disent qu’il fait de la contrebande, mais ça me semble peu probable, souligna le consul, il s’est toujours tenu à l’écart du crime.»
Il s’appelle Carlos Trevino. C’est un ancien flic du commissariat de La Eternidad. Il est recherché, a changé de vie et a promis à sa femme qu’il ne mènerait plus d’enquête.
L'autre s’appelle Margarito Gonzalez. Il est commissaire de police de La Eternidad. Il est corrompu jusqu’au bout des ongles, voue une haine sans limite à Carlos Trevino et sa femme l’a quitté.
N’envoyez pas de fleurs nous fait entendre la voix de ces deux personnages dont les chemins se croisent et se décroisent au fil d’une intrigue complexe et passionnante. Bien plus qu’un thriller c’est toute la société mexicaine moderne que nous décrit ici Martin Solares. Gang, police, petites gens et riches industriels, politiciens tous tentent de sauver leur peau dans ce monde violent, injuste et corrompu. Comme dans Les minutes noires paru aux éditions Bourgois en 2009 et en 2010 au éditions 10/18, Martin Solares poursuit ici son exploration de l’âme humaine celle des flics, ex-flics, journalistes ou autres ainsi que son exploration proprement littéraire et c’est très réussi. L'auteur dit d'ailleurs: « Ce qui m'intéresse n'est pas de créer des miroirs de la réalité, mais d'en proposer des mirages : des récits qui puissent convaincre le lecteur de suivre une série d'images plus suggestives que celles du quotidien, afin de le submerger dans une autre réalité - la fiction littéraire - et transformer ainsi son point de vue. Mon intention était d'inventer une maison blanche qui ait une maison noire à l'intérieur, au centre de laquelle il y aurait un jardin ».
Adam Haslett, trad. de l'anglais (Etats-Unis)
Gallimard, 440 p., 23 euros.
Ils sont deux dans cette famille à être atteints de ce mal insidieux : la dépression.
Quand Margaret toute jeune rencontre John, elle est séduite, il est enthousiaste, entouré de nombreux amis et surtout il sait la faire rire. Elle ignore encore tout de cette maladie, de cette face sombre qui peut fondre sur son fiancé. Elle l'apprendra avant le mariage et pourtant construira sa vie avec lui. Ensemble ils auront 3 enfants, dont l'aîné, Michael, hypersensible, passionné, angoissé, éprouve aussi cette difficulté à vivre. Au fil des années, l'histoire de cette lutte contre le poids de la dépression et les coups du sort est racontée en alternance par chacun des 5 membres de la famille : cette douleur qu'ils portent ou qu'ils supportent, ils la vivent , la traversent et la combattent ensemble. Malgré leurs défauts, leurs différences, les incompréhensions, c'est ensemble qu'ils se battent pour veiller les uns sur les autres.
Sur un sujet grave, Adam Haslett réussit une roman profond, lucide, parfois sombre mais traversé par des moments de grâce tant l'amour de cette fratrie est lumineux...
Marcel Sel,
Onlit Editions, 301 pages, 19,50 euros.
"Le Père", nommé uniquement comme ça par son fils qui s'est toujours senti négligé par celui-ci. "Le Père" impose à son fils, contre rémunération, d'écrire un roman, sous peine de se voir couper les vivres. Dans le but avoué de contrarier son géniteur, ce fils dilettante décide dans son "roman" de révéler à son père l'histoire de sa propre mère : Rosa, dont il ne sait rien, Rosa, adolescente farouchement fasciste, amoureuse du Duce, juïve échappant à la discrimination, résistante , déportée, ...
Une belle et forte saga familiale, qui nous transporte de l'Italie fasciste à la Belgique d'aujourd'hui, qui nous parle de filiation, d'amour, et des incohérences de l'histoire. Palpitant et émouvant.
Jennifer Haigh, trad. de l'anglais
Gallmeister, 435 pages, 24.20€
Bakerton, Pennsylvanie, est une ville qui se meurt. Depuis la fermeture des mines de charbon, à la fin des années 80, la petite localité se vide peu à peu des ses habitants, ses commerces ferment les uns après les autres, il n'y a plus aucun avenir. Il ne reste que la terre à cultiver et de rares emplois comme ceux, précaires et difficiles, qu'offre la prison d'Etat. Lorsque des démarcheurs d'un grand groupe industriel commencent à frapper aux portes des propriétaires terriens, ces derniers pensent avoir enfin trouvé une solution à leurs problèmes d'argent : l'exploitation du gaz de schiste. Tout semble si simple et les contrats si alléchants ! Il suffit d'un simple puits au milieu des champs pour voir jaillir des millions de dollars. Mais, évidemment, au pays de l'argent, rien n'est jamais simple. La présence d'un industrie pétrolière au coeur de cette région réputée pour son agriculture ne plaît pas à tout le monde. Très vite les esprits s'échauffent, la déception s'intalle, la colère aussi. Les puits sont énormes et bruyants, les forets rasées, les terres devastées, l'eau contaminée. Ce qui devait permettre à Bakerton de revivre ne fait que précipiter sa ruine. Un roman puissant qui traite d'une question fondamentale de notre époque : comment concilier la réussite économique et le respect de l'environement ?