Isaac Rosa, trad. de l’espagnol,
Bourgois, 288 pages, 19 €
Un groupe de jeunes gens louent un local et crée au sous-sol une pièce totalement noire. Dans ce lieu, protégés par l’anonymat que leur donne l’obscurité, ils expérimentent de nouvelles formes de relations, en particulier sexuelles. Mais peu à peu ce lieu de plaisir partagé devient un refuge pour ces jeunes gens victimes de l’évolution sociale et en particulier de la crise économique (perte d’emploi, de logement, problèmes de couple…) Cette belle utopie collective qu’était la pièce obscure devient un lieu de renoncement (celui où certains choisissent de se suicider, ou d’autres y font une crise cardiaque seul dans un coin), une caisse de résonance en négatif de la violence extérieure où d’autres se lancent dans l’activisme avec ce cri de guerre « La peur doit changer de camp! ». Magnifiquement écrit, La pièce obscure, constat extrêmement lucide de l’état de la société, nous hante bien après en avoir fermé la porte.
Le monde s’écroulait pendant que nous, nous baisions, tout heureux, les gens étant jetés par le balcon avec tous leurs meubles, tous leurs souvenirs pendant que nous, nous baisions, tout heureux, les malades mourraient dans les couloirs des hôpitaux en attendant un test de diagnostic pendant que nous, nous baisions, tout heureux, les pères de famille faisaient la queue avec leurs enfants devant les soupes populaires pendant que nous, nous baisions, tout heureux, les banquiers, leurs politiciens volaient à pleines mains pendant que nous, nous baisions, tout heureux, elle-même ne pouvait pas payer le loyer de sa chambre ce mois-là parce qu’on avait saisi la moitié de son indemnité de chômage pour payer une amende pendant que nous, nous baisions tout heureux…
Laurent Mauvignier,
Les éditions de Minuit, 239 pages, 17€
Sybille est une femme fatiguée qui s’est peu à peu éteinte. Son fils Samuel est un adolescent mal dans sa peau plein de blocages et de colère. Leur relation est conflictuelle ou de l’ordre de l’ignorance mutuelle. Sybille décide dans un dernier sursaut d’énergie de partir en expédition à cheval avec son fils au Kirghizistan pour tenter de redonner à leur vie une direction. Le voyage se fait dans des conditions extrêmes. Il est l’occasion de nombreux retours en arrière sur la vie des protagonistes, un amour de jeunesse qui obsède encore Sybille, l’échec de son couple…
L’écriture cinématographique de Laurent Mauvignier est au service de ce roman d’aventure dans les montagnes kirghizes. Lieu d’exploration des replis de l’âme humaine, Continuer explore la relation mère-fils : le regard que l’on porte l’un sur l’autre, les malentendus, les tentatives d’approche, les replis sur soi, les illusions, les déceptions mais aussi ces instants bénis de retrouvailles, de connivence, d’amour partagé.
Valérie Manteau,
Le Tripode, 200 pages, 15€
Le livre s’ouvre sur le suicide, celui d’une grand-mère aux tendances dépressives et puis le passage à l’acte et l’effroi de la mort qui saisit les proches. Et puis les catastrophes s’enchaînent, maintenant ce sont les copains qui meurent, ceux de Charlie Hebdo. On est le 7 janvier 2015. Que faire alors? Se bourrer la gueule jusqu’à plus savoir comment on s’appelle, fuir à Istanbul retrouver l’amant, se jeter par la fenêtre…
Valérie Manteau raconte la vie quand la mort surgit de toute part sans pathos, au plus juste et ce goût de liberté, ce choix de la solidarité tout comme cette nécessité du rire même dans les moments les plus tragiques. Calme et tranquille est un livre bouleversant qui donne tout son sens au mot résistance.
Véronique Ovaldé,
Flammarion, 345 pages, 20€
Dans la cité imaginaire d’Urubuk, au fin fond du pays basque, la jeune Anastasia Bartolome s’impatiente. Un jour, un professeur emmène sa classe voir une exposition et l’adolescente a une révélation devant un tableau de nu féminin peint par Roberto Diaz Uribe. Commence alors pour la jeune fille une quête effrénée sur les traces du peintre : de Paris où elle côtoie un vieux russe fou et alcoolique, fin connaisseur, à la côte espagnole où Dalia Stella, fille du peintre étudie les méduses.
Placé sous le signe du suicide, le roman de Véronique Ovaldé qui remonte à travers les siècles la dynastie des Bartolome n’en est pas moins un récit allègre et fantaisiste où encore une fois l’imagination est au pouvoir.